Enquête Sur Un Crucifié by Jean Lartéguy

Auteur:Jean Lartéguy [Jean Lartéguy]
La langue: fra
Format: epub
Tags: 2016-12-16T12:42:26.389000-04:00 JF
Éditeur: Flammarion (Éditions)
Publié: 1972-12-31T23:00:00+00:00

TROISIÈME PARTIE

LES CROIX DE CHU MNONG

« Si quelqu’un vient à moi sans haïr

son père et sa mère et sa femme et

ses enfants et ses frères et ses sœurs

et jusqu’à sa propre vie, il ne peut

être mon disciple. »

Évangile selon saint Luc, 14-26

1

Les professionnels

Devenu officiellement mon correspondant, Nguyên Van Hô m’avait débarqué à l’hôtel Continental. Il m’avait même accompagné dans le hall et abandonné devant l’escalier, m’accablant de démonstrations d’amitié et de conseils variés entrecoupés de petits rires. Non sans m’avoir donné le numéro de téléphone et l’adresse de Fabre. Sachant qu’il se levait tard et vivait la nuit, je n’appelai Fabre qu’à une heure de l’après-midi en me réclamant de Lestreilles et du colonel Lherm.

Un enfant qui jouait les demeurés avec jubilation, puis une femme à la voix criarde me répondirent qu’il était absent « beaucoup loing Sài Gòn ». J’insistai et enfin je l’eus au bout du fil.

— Que me voulez-vous ? me demanda-t-il d’une voix étouffée. Lestreilles est mort, Lherm ne vaut guère mieux. Tous les deux se sont ingéniés à m’empoisonner la vie pendant vingt ans. Ils m’ont obligé à me mêler d’affaires qui ne me regardaient pas, l’un au nom de l’honneur et l’autre de l’amitié. Je suis enfin tranquille et voilà que vous prétendez à leur succession.

— Je voudrais seulement un rendez-vous. J’ai besoin de l’aide des astres.

— Je ne peux vous être d’aucun secours. Je prédis l’avenir aux vivants et je ne me soucie guère des morts. Dans votre cas, c’est bien d’un mort qu’il s’agit ? Voyez un nécromancien.

J’insistai encore et enfin il se laissa convaincre :

— Si vous y tenez absolument, je vous recevrai demain à 9 heures du soir. En paiement de mes consultations, je n’accepte pas les chèques. Je n’ai rien contre les devises étrangères, sauf la livre sterling dont le cours est incertain.

Il raccrocha.

William Bertold, le chef de poste de C.B.S., se montra plus aimable et me proposa de venir prendre un verre dans son bureau au Continental, en fin d’après-midi. Manelli, le consul de France, m’invita à dîner. Je compris que ce serait à mes frais.

Après une courte sieste, je rédigeai deux télégrammes adressés au siège du Consortium à Zürich. Le premier que j’envoyai par la poste avait trait aux offres de service de l’Excellence. Dans le second, que M. Blavier se chargerait de faire parvenir à destination, je relatais en détail la découverte et le maquillage du cadavre, puis sa récupération par les autorités françaises. J’ajoutai : « Au stade actuel de l’enquête, tout me porte à croire que Ron Clark est mort, mais qu’il est impossible à la partie adverse de faire la preuve légale de cette mort à moins d’user de “subterfuges, stratagèmes et autres manœuvres dolosives”. »

J’étais à Sài Gòn depuis trois jours et j’avais l’impression d’y avoir vécu des semaines, sans rien connaître de la ville qu’une avenue qui allait de l’aéroport au Continental, une chambre d’hôtel, une villa de diplomate, un restaurant chinois et un cimetière.

Lestreilles mort, je pouvais utiliser Fabre qui savait si bien retrouver les cadavres et qui saurait encore mieux ne pas les retrouver.

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